Révolution & Pardon

Revolution & Verzeihung Revolution & pardon

Brief an meine Kinder und Enkel in Afrika

Letter to my children and grandchildren in Africa

Chers enfants en Afrique,  

comment ne pas me souvenir en ce jour de Fête nationale en Allemagne de cette fameuse question que vous ne cessez de répéter: « Mais votre réunification, vous en êtes contents, n’est-ce pas ? » Et moi de répondre toujours avec un grand sourire joyeux : « C’était un miracle ! » 

En effet, une révolution sans effusion de sang, sans violence ou presque, on n’osait pas y croire tant l’histoire humaine est imprégnée de sang. Et pourtant nous, les Allemands, on en a vécu une, un de ces rares exemples de résistance dans un esprit humanitaire, fraternel. En cette année 2014, nous célébrons son 25e anniversaire. C’est notre « Independance Day ».

Parti des réunions de prières surtout dans des églises protestantes, chaque lundi soir, à Leipzig d’abord et ensuite d’autres villes de l’Allemagne communiste dite « République démocratique » ( mais sous une dictature il ne faut jamais se fier aux mots ), le mouvement a embrasé très vite une grande partie de la population de l’Est entre la mer Baltique au nord et la frontière tchécoslovaque au sud. Finalement, le 9 novembre 1989, date vraiment historique, le mur de Berlin est tombé. Quelle fête c’était quand la population a dansé devant, derrière et même sur « le mur de la honte » ! Effusion de joie, pas de sang !

On danse sans violence

Source: Wikimedia

Lear 21 at en.wikipedia

Or, au moment de notre fête nationale, le « Jour de l’Unité allemande » daté au 3 octobre en souvenir de la réunification légale par l’adhésion de l’Allemagne de l’Est à l’Allemagne fédérale de l’Ouest, nous nous souvenons également de tous les évènements précurseurs de notre réunification miraculeuse. Depuis des années déjà maints Allemands de l’Est avaient tenté leur chance de fuir leur prison « démocratique » en essayant dans un premier temps de trouver un moyen de traverser clandestinement le « rideau de fer » qui séparait les deux parties de l’Allemagne ou le mur de Berlin qui divisait l’ancienne capitale depuis 1961.  Comme d’éventuels passages clandestins devenaient de plus en plus rares, maintenant, vers la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, d’intrépides chercheurs de liberté tentaient d’entrer dans le périmètre des ambassades de Budapest (Hongrie) et de Prague ( Tchécoslovaquie, aujourd’hui Tchéquie ). Quand finalement la BBC a envoyé des reporters à Prague au mois de septembre 1989 et quand leurs reportages ont été diffusés par la télévision allemande ( qu’on pouvait capter à l’est ), ce fut la ruée. Inquiets parce que personne ne savait combien de temps cette occasion de prendre la fuite allait exister, et anxieux par peur d’être arrêté par la police ou des soldats des frontières, les réfugiés se dirigeaient en toute hâte vers les frontières des « pays amis » de l’est de l’Europe. Très vite donc, le périmètre de l’ambassade à Prague et même le fameux palais Lobkowicz où l’ambassadeur réside se remplissaient. 

Le 30 septembre 1989, face à l’incertitude de leur sort, 5273 réfugiés angoissés rassemblés en dessous du château de Prague attendent leur libération. Enfin le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne de l’Ouest, Hans Dietrich Genscher, apparaît ! Sur le balcon du Palais Lobkowicz, il s’adresse à ses compatriotes. Sa brève allocution sera retenue dans la mémoire des Allemands pour toujours: « Chers compatriotes ! … Nous sommes venus pour vous faire savoir que votre départ … » Impossible d’entendre la suite. Ses paroles sont englouties par des cris de joie, de jubilation et des hosannas à la liberté.

Mais les réfugiés ne sont pas encore arrivés au bout de leurs tribulations. L’annonce qu’ils seront évacués par train et doivent traverser encore une fois la RDA cause un effroi indicible. Des milliers de voix coriaces crient NON !. Personne ne veut entrer encore une fois en contact avec ses geôliers. Il a fallu un orateur de la stature de Genscher qui répondit avec verve: « Le chemin que vous allez prendre maintenant, je l’ai pris moi-même en 1953. Je sais dans quel état d’esprit vous vous trouvez, mais je vous assure que dans chaque train il y aura des accompagnateurs du Corps diplomatique. » En effet, Hans Dietrich Genscher est né à Halle sur Saale en Allemagne de l’Est et a pris la fuite en l’année de la première révolte est-allemande que les chars soviétiques ont écrasée.  C’est donc un des leurs et les gens montent dans les trains qui attendent déjà à la gare de Prague. Mais une peur bleue les accompagnera jusqu’à leur heureuse arrivée dans les villes de l’Allemagne libre où ils seront accueillis dans une ambiance de convivialité. On brandit des banderoles de bienvenue, serre les mains, offre des collations et pourvoit des habitations provisoires.

GRAVÉ DANS LA MÉMOIRE DES ALLEMANDS : LE SOUVENIR DE LA RÉVOLTE DE 1953 QUE LES CHARS RUSSES AVAIENT ÉCRASÉE. 

Photo prise à Leipzig – SOURCE: Bundesarchiv (Archives Fédéraux Allemands)

Bundesarchiv Bild 175-14676, Leipzig, Reichsgericht, russischer Panzer
Leipzig, um den 17. Juni 1953

Il faut maintenant que je revienne encore une fois sur la peur bleue qui serrait le cœur des voyageurs dans les « trains de la liberté ». Figurez-vous le moment où les agents de la « Stasi », la « Sécurité d’État », représentants haïs de l’oppression qu’ils venaient de fuir, demandent sèchement à chacun de présenter et de rendre sa carte d’identité qui passe ensuite d’un agent à l’autre pour disparaître à tout jamais dans une valise. C’est le moment où ils perdent définitivement leur identité est-allemande. Est-ce une dernière victoire de l’oppresseur ? Une idée frappe l’esprit d’un jeune Allemand quand il regarde les billets de la Ostmark dans son porte-monnaie: « Et si je jetais aussi l’argent ? » Aussitôt, il ouvre la fenêtre et en criant « Alors, gardez ça aussi ! » il jette ses billets sur le quai de la gare où le train stationnait pour que le contrôle pût être effectué. Ce fut l’étincelle qui a allumé la mèche d’une révolte morale. Une fenêtre après l’autre s’ouvre et on lance toutes sortes de symboles de la dictature qui couvriront finalement le quai de la gare. Oui, on roule vers la liberté !

Et de l’autre côté les agents des services secrets qui vivent le pire moment de leur carrière: ils doivent laisser filer ceux qu’ils auraient espionnés, répertoriés, emprisonnés et torturés encore quelques jours auparavant ! C’est sans doute avec honte et colère qu’ils remplissent cette fois des fiches pour les archives de la « Stasi », ces archives qui comprennent au moins 39 millions de fiches, 111 kilomètres de dossiers, 1.75 millions de photos, 2.800 films et vidéos ainsi que 28.400 bandes magnétiques; ces archives qui reflètent d’une manière caricaturale la vie d’une population de 16 millions composée d’espions et d’espionnés.

Évidemment, dès que les services secrets commençaient à comprendre que leur pouvoir touchait à sa fin, ils ont essayé de détruire ces archives. Mais l’immensité de cette tentative a donné le temps nécessaire à des opposants courageux d’entrer dans les lieux pour empêcher les ex-oppresseurs de faire disparaître toute trace de leurs crimes.

Alors, chers enfants, pour bien comprendre l’esprit de paix de notre révolution, mettez-vous pour un instant à la place d’un contestataire, membre d’un comité de citoyens qui veut faire la lumière sur les activités des services secrets. Ces services vous ont espionnés, vous avez des amis que la « Stasi » a torturés dans sa prison souterraine, vous ne faisiez même plus confiance à vos parents. Et vous voilà devant un agent secret impertinent qui veut coûte que coûte vous empêcher d’entrer dans ce bâtiment de la honte où les anciens geôliers ont commencé à brûler des documents. Quel est votre état d’âme ? Une colère noire s’empare de vous ? Vous voulez gifler cet ogre en l’injuriant ? Notre Président Joachim Gauck, le premier commissaire des archives de la « Stasi », se planterait devant vous comme il l’a fait à l’époque en disant : « Notre révolution est ancrée dans notre foi chrétienne. Nous ne connaissons pas la vengeance. Nous allons ouvrir les dossiers, apprendre ce qu’ils disent de nous et puis faire un grand effort de pardonner au fil du temps. »

C’est nous le peuple ! 

Le fameux slogan était scandé par les Est-Allemands qui réclamaient la liberté 

 Bundesarchiv Bild 183-1989-1104-437, Berlin, Demonstration am 4. November

Bundesarchiv Bild 183-1989-1104-437, Berlin, Demonstration am 4. November

Du monde entier les gens continuent d’affluer pour comprendre comment nous avons pu éviter un bain de sang au cours de notre révolution paisible dite « de velours ».  Aux Archives des services secrets, ils aperçoivent encore chaque jour des Allemands qui demandent comme 7 millions de compatriotes avant eux un examen de leur dossier. Pour comprendre et pour faire un effort de pardonner.

Bien des choses à toute la famille ! 

Votre père allemand 

P.S. En automne, l’Académie suédoise publie toujours les noms des Prix Nobel. Quand va-t-elle enfin honorer nos héros de la Révolution de velours qui – au risque de leurs vies – ont réclamé vivement et avec persévérance la liberté qui allait engendrer dans la suite la réunification de l’Allemagne et l’indépendance de la Pologne, de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de presque tous les pays de l’Europe de l’Est ?  ©HGT

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